Si l’on en parle beaucoup aujourd’hui, le Do-It-Yourself dans les études marketing n’est pas une pratique nouvelle, en tout cas pas pour un acteur comme le Sphinx, qui fait partie des pionniers français de ces solutions. Mais les besoins - qui vont au-delà de la seule composante « recueil de données » sont cependant en forte croissance et en pleine évolution comme l’évoque son directeur Boris Moscarola, avec un vrai appel d’air pour des options hybrides permettant aux clients d’être à la fois autonomes et - si besoin - accompagnés.
MRNews : Vous dirigez Le Sphinx, une société dont le coeur de métier est le traitement et la restitution des données, et qui fait partie des pionniers français du Do-It-Yourself dans le domaine des études marketing. Pourriez-vous résumer son historique en quelques mots ?
Boris Moscarola (Le Sphinx) : La société a été fondée par mon père — Jean Moscarola— dans les années 80, avec une activité originellement centrée sur les logiciels de traitement pour les études et l’enseignement, notre solution étant utilisée dans les IUT et les universités pour former les étudiants aux méthodes d’enquête. Lorsque j’ai intégré Sphinx en 2005, la société comptait une quinzaine de personnes, avec un produit phare, un logiciel permettant de construire un questionnaire, de collecter des données et de les analyser, et une nette avance vis-à-vis de nos concurrents sur le traitement des données textuelles. Depuis, nous avons enregistré une forte croissance, avec un développement important de notre activité d’hébergeur et de prestataire de service. L’équipe est aujourd’hui composée d’une cinquantaine de collaborateurs. Notre activité est relativement équilibrée d’un point de vue sectoriel, avec l’enseignement encore et toujours, mais aussi les instituts, la santé, le domaine banque-assurance, le tourisme…
Cette croissance très significative est-elle fortement liée au développement du DiY ?
Oui, certainement. Il est vrai que lorsqu’on évoque le Do-It-Yourself dans l’univers des études marketing, on pense spontanément à l’aspect « recueil ». Alors que cela concerne en effet d’autres composantes essentielles comme celles du traitement et de la restitution des données, qui est notre domaine d’expertise. Il y a un fort enjeu à répondre aux besoins des utilisateurs qui ont fait le choix d’internaliser leurs études - et de les traiter eux-mêmes, que ceux-ci soient basiques ou relativement complexes. Et nous avons vocation à « vulgariser », à être des « facilitateurs » de l’usage de techniques d’analyse relativement sophistiquées, qui étaient jusqu’ici plutôt réservées à quelques experts. Des personnes équipées de nos solutions peuvent par exemple produire des matrices de Llosa, ou élaborer des modèles d’équations structurelles en quelques clics.
La vision que nous avons - via le baromètre que nous réalisons avec Callson - est celle d’une forte progression du DiY sur ces deux ou trois dernières années, avec un taux de pénétration globale avoisinant les 56%. Est-ce cohérent avec votre connaissance du marché ?
Ces ordres de grandeur me semblent tout à fait plausibles. Et la dynamique est évidente depuis 4 ou 5 ans en particulier, cela est parfaitement en phase avec la croissance que nous enregistrons. Mais je crois cependant que nous avons affaire à un marché très distinct de celui des instituts, où les annonceurs ont un poids énorme. Il existe par ailleurs un autre monde, mal connu et appréhendé, composé de grandes entreprises et de PME qui, pour des différentes raisons, ne se tournent pas vers les instituts. Soit parce qu’elles ne lancent que très peu de projets d’études, soit parce qu’elles ont précisément fait le choix de les réaliser par elles-mêmes.
Vos clients sont-ils les entreprises qui ne disposent pas des budgets nécessaires pour travailler avec des instituts d’études classiques ? Ou bien d’abord et avant tout des aficionados du DiY ?
Derrière l’usage du DiY, il y a à la fois une culture et des choix budgétaires, qui se recoupent parfois bien sûr, mais pas de manière systématique. Et il y a aussi une tendance de fond, cela rejoint complètement cette forme d’Uberisation désormais présente dans quasiment tous les secteurs d’activité, et qui est plébiscitée parce qu’elle est plus souvent le moyen de réaliser des économies substantielles. Néanmoins, nous avons au sein de nos clients deux types de profils. Avec d’un côté des gens très autonomes, C’est la majorité de nos clients. Mais nous devons répondre aux besoins d’un autre profil d’interlocuteurs, demandeurs d’une aide. C’est ce qui nous a conduits à développer un modèle de proposition alternatif, le « Do It Yourself With Me ». Les clients ont dans ce cas-là accès à toutes nos solutions technologiques, en complète autonomie s’ils le souhaitent, mais ils bénéficient d’un accompagnement avec un chargé d’études expérimenté. Ce segment-là - de besoin et d’offre - est en très forte croissance.
De quoi ces clients ont-ils besoin plus précisément ?
Le besoin est très large. Il concerne l’usage des logiciels bien sûr. Mais il porte aussi sur des aspects méthodologiques, comme le type de protocole de collecte à mettre en oeuvre, sur les choix d’échantillonnage, sur la rédaction des questionnaires… En fait, ce besoin d’accompagnement et de conseil est présent de A à Z, depuis la conception de l’étude jusqu’au traitement et au partage des résultats en interne.
Quelles sont les évolutions de la demande qui vous semblent les plus marquantes autour de cet usage du DiY, sur ces 2 ou 3 dernières années ?
Nous avons assisté à une quasi-explosion des besoins sur les enjeux d’expérience client. On peut utiliser différents termes pour évoquer cela - satisfaction, voix du client, customer expérience - mais le point commun est évident, il s’agit de s’intéresser à ce que les clients pensent des marques. Écouter les clients, c’est aussi les laisser s’exprimer via des questions ouvertes. Cela suscite donc un forte demande pour le traitement des données textuelles. Il faut traiter de gros volumes de textes en peu de temps. Toujours en lien avec ce thème de l’expérience client, les entreprises doivent également trouver des réponses à leurs besoins relatifs au reporting et au partage des résultats en interne. C’est un domaine sur lequel nous avons beaucoup investi, en élaborant des modes de restitution les plus fluides et conviviaux possible. De fait, notre parti-pris est de proposer des solutions intégrées, de la conception de l’étude et du questionnaire jusqu’à la communication des résultats, que ce soit auprès des opérationnels ou bien d’un comité de direction. Cela contribue à nous différencier des concurrents, qui se focalisent le plus souvent beaucoup sur les aspects de collecte.
L’usage du DiY n’est pas sans risque dans les entreprises. Quelle est votre vision à ce sujet ?
Oui, les risques existent. Les points soulevés par Guillaume Roussel dans une de vos précédentes interviews me semblent tout à fait pertinents, en particulier lorsqu’il pointe du doigt le fait que les équipes au sein des entreprises peuvent se retrouver face à des jeux de données incohérentes. Il y a également le piège d’une confusion entre des données d’études stratégiques - qui demandent des précautions méthodologiques particulières pour en garantir la fiabilité, et des données plus opérationnelles. Derrière cela, il y a souvent un enjeu de compétence technique, de savoir-faire des utilisateurs et aussi de temps. L’accompagnement que nous proposons s’inscrit bien dans l’idée d’aider les entreprises à limiter ces risques. Mais cela exige de notre part de recruter des profils pas si évidents à trouver, des gens polyvalents ayant à la fois la connaissance technique des outils mais aussi un solide background Etudes.
Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe derrière cela ? Les gens veulent à la fois l’autonomie, mais aussi le service et l’assistance…
C’est vrai que cela peut sembler paradoxal. Mais on retrouve ce double besoin dans de nombreux domaines, ce n’est absolument pas spécifique à l’univers des études. Et, de fait, il est de plus en plus important. Si l’on remonte à quelques années en arrière, le besoin d’assistance émanait le plus souvent de personnes ayant surestimé l’autonomie qu’ils pourraient avoir par rapport aux outils. Alors qu’aujourd’hui, une nouvelle génération de clients se sent spontanément très à l’aise avec ce « deal », ce mode de fonctionnement leur paraissant très naturel.
Le marché du DiY est aujourd’hui un vrai champ de bataille, avec de nombreux concurrents. Quels vous semblent être les principaux challenges pour Le Sphinx dans les années à venir ?
Les concurrents ne manquent pas, en effet, et il faut compter avec de gros acteurs, dotés de moyens importants. Cela a l’avantage de dynamiser le marché. Mais les options stratégiques sont néanmoins assez différentes, ce qui se retrouve bien sûr dans les propositions et les types de besoins adressés. Nous avons délibérément effectué des investissements significatifs sur ces dernières années, en particulier sur les aspects de restitution et de visualisation, et sur l’intégration des différents outils. C’est le parti-pris d’une solution intégrée, la plus qualitative possible, qui nous donne de réels atouts pour nous différencier, sur un marché français que nous connaissons bien.
Une de nos priorités majeures est de développer encore nos prestations de services et de conseil, parce que les besoins et le potentiel sont réellement importants. Cela soulève des enjeux assez lourds sur le profil de nos collaborateurs, comme je l’évoquais précédemment. Mais nous allons également persévérer dans cette logique consistant à démocratiser des outils d’analyse trop souventréservés à un cercle restreint d’experts. Tout cela va dans le sens d’un modèle alternatif à la pratique des études, où les clients ont certainement beaucoup à gagner.